Le chemin des âmes - Joseph BOYDEN
Niska, indienne cree du Canada, se rend à la ville. Trois jours de voyage en canoë pour enfin atteindre cette civilisation qu’elle exècre, pénétrer dans la puanteur urbaine, subir le regard des wemistikoshiw. Elle attend l’arrivée du train, celui qui lui ramène le meilleur ami de son neveu, Elijah, des tranchées d’Europe. Quant à Xavier, il n’a pas survécu à la Grande Guerre. Du moins, c’est ce que les autorités lui ont écrit. Pourtant, c’est bien Xavier, amputé d’une jambe, qui descend du train et non Elijah. Xavier qui supporte la douleur en s’injectant dans le bras la médecine des blancs, cette morphine qui le consume de l’intérieur. Alors, Niska entreprend de ramener Xavier chez lui. Et tandis qu’elle remonte la rivière et que son neveu est hanté par les souvenirs de la guerre, elle fait appel à sa sagesse et à sa mémoire pour tenter de rallumer en lui le souffle de la vie.
Il faut bien reconnaître que j’ai quelques semaines de retard puisque c’est à l’initiative de Celsmoon que ce roman de Joseph Boyden a rejoint ma PAL. Mon billet aurait du être publié en mai mais, comme souvent, je présume de mon rythme de lecture et c’est donc seulement maintenant que je peux vous livrer mon sentiment sur cet incroyable roman.
Joseph Boyden nous offre ici la confrontation de deux cultures, deux civilisations, deux mondes. Les souvenirs de Niska et de Xavier s’entremêlent et livrent un contraste saisissant entre les rites des Indiens Cree et l’absurdité de la Première guerre mondiale. Niska est une vieille femme, une indienne des bois comme elle dit, une de celles qui a su échapper à l’éducation des wemistikoshiw, les blancs et leurs bonnes sœurs qui éduquent les enfants à coup de verges. Gardienne des coutumes de son peuple, tueuses de windigos, hookimaw comme l’était son père avant elle, Niska veille sur son neveu, le dernier de sa lignée. S’il meure, son sang mourra avec lui.
Xavier quant à lui a connu l’enfer des tranchées. Il a côtoyé la mort, entendu siffler les balles, senti la terre trembler et se soulever sous l’explosion des obus. Il a vu ses compagnons d’armes tomber les uns après les autres, le corps déchiqueté par les mines, la tête explosée par les balles des snippers, les tripes déballées à l’air libre après la déflagration des grenades. Il s’est accroché à Elijah, son ami Elijah dont la popularité ne faisait que grandir tandis que lui, Xavier, restait dans l’ombre, invisible et pourtant meilleur tireur du bataillon.
Il y a quelque chose d’incroyablement violent dans cette confrontation des souvenirs, une sorte d’antagonisme hurlant, d’injustice bouleversante. Joseph Boyden raconte l’histoire de ces Amérindiens engagés dans l’armée et venus se battre en Europe pour des enjeux qui les dépassent, pour des hommes qui les méprisent, pour des colons qui les ont dépossédés de leurs terres, de leurs biens, de leurs coutumes, de leurs âmes… Ce chemin des âmes, c’est celui qui conduit vers la mort, celui sur lequel Xavier s’enfonce lentement mais dont sa tante Niska tente de le détourner en faisant appel à leur histoire.
On ne sort pas indemne de ce roman, même si je dois reconnaître que j’ai plus apprécié les passages consacrés à l’histoire de Niska que ceux, plus longs, consacrés aux tranchées. Pourtant, ils sont étrangement complémentaires, comme deux mondes bien distincts et qui pourtant se répondent. Elle est incongrue la présence de ces deux indiens dans la boue de France, eux qui ont appris à chasser l’orignal, eux qui préfèrent porter leurs mocassins plutôt que les godillots réglementaires. Et c’est cela qui serre le cœur et qui donne toute sa force au récit. Car en fin de compte, c’est toute l’histoire de l’Humanité…
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